Nos géographies

L’architecture et le paysage sont l’affaire de tous. Visible/Invisible en témoigne et permet de croiser les regards que l’on porte sur l’environnement qui nous entoure. Visite/Invisible est l’histoire d’une rencontre autour de la perception de la Ville. Comment la percevons-nous, comment la traversons-nous, quelles révolutions la bouleversent ? L’architecture et le paysage ne se lisent-ils qu’à l’aune du regard ? Autant de questions que nous aurons le temps d’explorer ensemble entre février et octobre 2023 à travers différents rendez-vous ouverts à tous.

 

Premier épisode : La géographie dans les pieds

Vous êtes vous déjà amusé à traverser votre domicile, lieu le plus familier que vous ayez, les yeux bandés, fermés ? C’est un exercice des plus stressant et la déambulation est très approximative avec quelques chocs par ici et par là.
Mais alors, qu’en est-il des malvoyants et aveugles qui se meuvent en extérieur ? Par quels miracles peuvent il aller et venir ? En réalité, il n’y a ici qu’une histoire de travail et surtout de confiance.

Le premier épisode des trois podcasts nous présente Younès, jeune aveugle, Jean-Luc Boissenin son professeur de locomotion ainsi que Claire et Massimo Furlan, metteurs en scène qui découvre le monde de la malvoyance au travers de divers escapades nocturnes.

Le quartier se compose de ponts, de quais, de passerelles, de centre commerciaux, de trottoirs, rebords, bruits, odeurs à foisons tant de sollicitations qui créent chez le citadin moderne ce que G. Siemmens appelle une «hypertrophie des sens». C’est dans ce contexte surchargé que Younès doit réapprendre à vivre et se repérer, lui qui a grandi à la campagne. Là-bas, quelques informations l’aidaient à se repérer mais une fois arrivé en ville, le mobilier urbain se répète et le bruit est omniprésent. Perdu, lui et son professeur de locomotion ont travaillé sur comment réapprendre à être autonome en ville.

C’est au travers d’un parallèle intéressant que Claire et Massimo Furlan nous apprennent à nous comment concevoir ce monde qu’est celui de Younès. Les metteurs en scène nous racontent que c’est lors de balades en forêt qu’ils ont imaginé une représentation qui aurait pour thème la malvoyance. Nous connaissons en effet tous l’univers sylvestre de jour, mais de nuit il revêt une toute autre apparence, plus anxiogène, où chaque bruit peut avoir de quoi effrayer. Pourtant, c’est aussi un expérience riche : on y voit que son corps, à force de pratiquer l’environnement le comprend et le connait, et si la vue n’est plus notre guide, les pieds le sont, aidés par nos autres sens.

C’est ce qu’explique Jean-Luc Boissenin : si l’on perd la vue, d’autres sens se développent pour réapprendre à se déplacer le plus surement possible : l’ouïe, le sens kinesthésique, le sens des masses, la podotactilité et le vécu de la distance.

Ce travail permet à l’aveugle de retrouver petit à petit confiance en lui et ses aptitudes pour se mouvoir mais aussi en la ville car comme Younès le dit lui même, il s’agit en réalité d’une mine d’information qui le fait se sentir bien plus en sécurité qu’on ne le pense. Et quand comme lui on a l’opportunité de travailler avec un chien-guide,il s’agit de renouer de nouveau un nouveau lien de confiance pour que l’homme et l’animal avancent plus facilement que jamais au sein des nos dédales quotidiens.

 

Deuxième épisode : La fabrique du paysage

Qu’il est bon de savoir l’air plus pur dans un centre-ville à mobilité douce, sans voiture, sans bruit excessif, entre piétons et cyclistes, entre trottinettes et skateboards. Les malvoyants partagent-ils cet avis ? En tout cas d’après Boris Jollivet et Jean-Luc Boissenin, ces nouveaux contextes sont déstabilisants pour les personnes atteintes de handicaps visuel.

«Le son est vraiment un guide.» Boris Jollivet, audio-naturaliste

D’après lui, selon les espaces, le son ne se déplace pas de la même manière, les aigües et les graves se répercutent de manière très différentes ne serait-ce que selon les saisons. Pour pallier à cette nouvelle difficulté, les aveugles disposent de cartes aimantées sur lesquelles ils reconstituent l’espace qu’ils visitent pour apprendre à s’y repérer, modifiant la position des différents éléments jusqu’à arriver à un résultat qui leur permette de se déplacer librement et de mémoire dans l’espace. Pour Alexandre Moine, géographe, cette approche est la plus sensée étant donné que pour toute personne une carte représente la première approche d’un espace,  une approche donc très personnel mais qui permet toutefois une prise de recul certaine.

Si le son est essentiel aux malvoyants et qu’il permet entre autre à Enzo Sivad de skier avec une accompagnatrice, il n’est pas non plus dépossédé de ses moyens dans nos centre-villes modernes grâce à son travail et la faculté rémanente de son cerveau à créer une illusion de vision face à ce qu’il perçoit avec ses autres sens.

Troisième épisode : Des histoires plein les poches

Comment un aveugle peut-il se sentir en confiance, maître de son environnement ? Est-ce seulement possible ? C’est ce que vous permet de découvrir ce podcast au travers de différentes histoires de voyant qui prennent connaissance empiriquement de ce qui les entourent.

Face à la perte d’un sens, le mieux, c’est d’accepter, et, loin de se résigner, d’aiguiser ses autres sens, de se mettre à l’affût.
Claire et Massimo Furlan, metteurs en scène, relatent leurs expérience de perte de vue nocturne : les forêts grandes et profondes se font rares, mais si petites qu’elles soient, y croiser quelqu’un est toujours surprenant, un peu effrayant même tant la chose est inattendue. Et même en groupe, la chose reste très anxiogène : une peur de la forêt de nuit, de ce manque de vision dans un univers fantasmé est effrayant.

Alexandre moine, géographe, explique qu’une carte c’est un roman en une page, c’est une biographie de la géographie qui permet de prendre connaissance de son environnement et de s’y sentir plus en sécurité. Mais pas totalement : la connaissance qui n’est pas empirique ne permet pas de se préparer à tout et occasionne aussi ses surprises, parfois inquiétantes même si magnifiques. C’est ce qu’il vous permet de découvrir au travers de son histoire d’une nuit en montagne.

Toutes ces histoires sont misent en relief par un conte revisité : Le petit chaperon rouge. Prendre connaissance de son environnement, c’est le maîtriser, c’est en prendre le pouvoir. Voilà surement le seul moyen qu’ont les malvoyants pour se sentir en sécurité : pratiquer encore et encore les lieux, jusqu’à le dominer, le domestiquer.