D'ouvrages en ouvrages

Série de podcasts créée en mars 2021, « D’ouvrages en ouvrages » (jadis « Archi-littérature ») vous propose des lectures d’œuvres littéraires dans lesquelles apparaît un intérêt architectural — révélant ainsi d’œuvres en œuvres les liens entre architecture et littérature.

Diffusion dans l’émission La Plage en partenariat avec Radio Campus et sur Mezzanine, plateforme multimédia dédiée à la culture architecturale créée par le 308 – Maison de l’Architecture en Nouvelle-Aquitaine & animée par Rumeurs Radio.

« Malgré sa petite taille, le livre amplifie les hauteurs et agrandit l’espace par sa proportion verticale et son élancement, c’est un intermédiaire entre le corps et l’édifice qui assure une continuité de substance avec l’architecture. À bien regarder, c’est le livre qui semble porter le meuble, il en est le matériau premier, il est la brique sur laquelle repose l’édifice tout entier, ne parle-t-on pas de volume et d’ouvrage à son propos ? Le livre est vivant, c’est le fruit ultime de l’arbre, il est fait de bois, à l’image de l’étagère qui le porte et de la table où il se pose. Le papier est fait d’une matière souple et chaude, il est doux comme une peau vivante, le livre est à mi-chemin entre l’humain et le naturel. Le livre est une métaphore de l’architecture. »
Laurent Beaudoin, Pour une architecture lente, Montrouge, Éditions Quintette, 2009, p. 13.

Après une brève introduction, une brève mise en contexte, l’épisode se poursuit par la lecture d’extraits, choisis de manière à faire entendre ce qu’est le texte en question — son style, son inflexion, les affects qu’il relate et suscite, sa substance — et ce qu’est l’architecture pour le texte. Lorsqu’il s’agit de tisser des liens entre littérature et architecture, la tendance est de situer les analogies au niveau des manuscrits et des plans, de leur élaboration, de la constitution de la diégèse et du choix des matériaux, enfin, de la construction de l’œuvre littéraire et de l’œuvre architecturale — que l’on songe à la comparaison que Marcel Proust établit entre La Recherche du temps perdu et l’édification d’une cathédrale.

Mais, en ce que l’architecture et nos vies font corps, en ce que nous ne pouvons nous réveiller puis marcher, à l’intérieur ou à l’extérieur, sans rencontrer quelqu’élément architectural, puisque la question de l’espace construit ou au contraire vacant, de l’espace interne ou externe, est inhérente à notre quotidien, la littérature ne manque pas de nous éveiller aux merveilles, aux stupeurs, de même qu’aux monstruosités de l’architecture.

Premier épisode : Le Pavillon d’Or, Yukio Mishima, 1956
Ou La Destruction de la Beauté.

« Mon Kinkaku-ji est une étude approfondie des mobiles d’un crime. Une conception superficielle et baroque de quelque chose comme, par exemple, la Beauté, peut suffire à provoquer l’acte criminel d’incendier un trésor national. Si l’on se place d’un autre point de vue, il suffit, pour échapper à sa condition présente, de croire à cette idée folle et superficielle, et de l’hypertrophier jusqu’à en faire une fondamentale raison d’être… »
Journal, Yukio Mishima.

« Trésor national », inscrit à l’Unesco en 1994, le Kinkaku-ji, ou Pavillon d’Or en français, part du temple zen Rokuon-ji, est incendié par l’un des moines du domaine en 1950. L’incendiaire ne cessera de changer de discours au fil des interrogatoires – vengeance contre le Prieur, contre sa mère, acte impulsif, non réfléchi, fascination de la Beauté ayant dégénéré en haine… Ce dernier motif retient l’attention de Mishima, qui, ayant suivi de près la restitution du procès alors à la une des journaux japonais, en fait la matière de son roman, le problème existentiel de son protagoniste.
Allégorie de la Beauté, image terrestre d’un Idéal, par la perfection de son architecture, le Pavillon attise le conflit interne du protagoniste : si la Beauté peut exister en ce monde, si la main de l’homme peut créer la forme du Beau, pourquoi l’homme en est-il – en même temps – irrémédiablement exclu ?

Deuxième épisode : L’Emploi du Temps, Michel Butor, 1956
Ou La Ville-monstre.

Bleston, ville aux cloches, ville de Caïn, ville du Minotaure, Bleston aux brumes acides et sortilèges sournois, aux beaux jardins et aux quartiers demi-détruits, Bleston à la foire itinérante et aux deux cathédrales.
Bleston contre Jacques Revel, jeune homme fraîchement arrivé dans le labyrinthe : le duel sur lequel repose l’intrigue du roman L’Emploi du Temps. Revel, dérouté par une langue et une culture inconnues, se heurtant à des problèmes relationnels puis amoureux de plus en plus importants, projette ses sombres affects sur la ville même de Bleston, se situe comme la victime de sa malédiction. Emporté d’idées graduellement délirantes, Revel décide d’affronter Bleston par le recours à l’écriture, « le rempart des lignes sur les feuilles blanches », non pas pour se recentrer sur lui-même et retrouver quelque lucidité, mais pour déceler la faille de la ville.
L’Emploi du Temps, à travers l’état de Revel, proche d’une « paranoïa critique », nous révèle la part monstrueuse que peut abriter une ville, les errances et les angoisses que peuvent susciter la pesanteur, la tortueuse complexité de certaines architectures.

Troisième épisode : Extrêmement fort et incroyablement près, J. Safran Foer, 2005
Ou Rêves de New York.

Jeune garçon surdoué d’une dizaine d’années, Oskar, le protagoniste d’Extrêmement fort et incroyablement près, se livre à une véritable quête dans la ville de New York : la recherche de la serrure à laquelle correspondrait la clef que lui laissée son père récemment décédé.
Lors de ses divagations, Oskar rencontre des personnages intrigants, mais, surtout, nous fait part des fantaisies dont il pare chaque lieu qu’il traverse. Fantaisies tantôt idéalistes et abracadabrantes, minutieusement élaborées, tantôt angoissées et inquiétantes, teintées de la mort du père.
Par le regard singulier d’Oskar, par les regards des habitants de New York qu’il croise sur son chemin, Jonathan Safran Foer, dans ce roman, nous livre une New York multiple, de rêveries et d’histoire, la New York telle qu’elle apparaît à ceux qui l’arpentent quotidiennement.

Quatrième épisode : Crime et châtiment, Fiodor Dostoïevski, 1866
Ou Errances à Saint-Pétersbourg.

Réduit à une misère terrible, Raskolnikov, le protagoniste de Crime et Châtiment, met en gage l’une de ses dernières possessions, une montre que lui a léguée son père. Ce dernier sacrifice se révèle insuffisant, et il se retrouve dans l’incapacité de subvenir aux besoins de sa mère et de sa sœur. Dénutri, ne pouvant plus se vêtir que de haillons, le jeune étudiant sombre peu à peu dans un désespoir maniaque, que viennent alimenter ses idées sur la différence entre « l’homme ordinaire », l’homme exécrable qu’il croise tous les jours dans les rues de Saint-Pétersbourg, et « l’homme d’exception », qui, par son destin unique, doit s’affranchir des règles et codes moraux. Convaincu d’appartenir à cette dernière catégorie, Raskolnikov, en proie à une fièvre suspecte, assassine l’usurière à laquelle il a confié la montre. Par chance ou par infortune, il ne laisse aucune trace de sa présence aux lieux du crime ; un autre homme est accusé à sa place.

Le reste du roman se compose des errances de Raskolnikov dans la ville. Bien que la culpabilité le gagne dangereusement, il ne se défait pas de ses idéaux, et même, les renforce des conclusions cyniques qu’il tire de ses observations du paysage urbain de la Saint-Pétersbourg du milieu du XIXe siècle.

Cinquième épisode : Poétique de l’espace, Gaston Bachelard, 1957.
Ou Séjour de l’inconscient.

Essai atypique, mêlant philosophie, psychanalyse et poésie, La Poétique de l’espace s’inscrit dans les recherches « nocturnes » de Gaston Bachelard sur l’imaginaire, dans la lignée de La Psychanalyse du feuL’Eau et les rêves ou encore L’Air et les songes.

Quel impact ont les lieux que nous fréquentons sur notre psyché ? Comment l’espace qui nous entoure façonne-t-il notre manière d’être et nos rêveries ? L’espace psychique est-il le reflet, la sublimation de l’espace physique ? Telles sont les questions majeures qui organisent ce texte. Pour y répondre, Bachelard fait appel aux poètes, à la voix lyrique qui embrasse singularité et universalité,  pour une topo-analyse aussi bien sentimentale qu’organique. Le philosophe se penche plus particulièrement sur la mémoire des espaces, la manière dont sont investis, a posteriori, les lieux qui ont marqué notre existence, en fonction de leur structure, de leur architecture, et des affects qui y ont été ressentis. En effet, si l’espace fonde notre personnalité, nous le forgeons en retour de nos souvenirs et rêveries.
Avec la participation de Nicolas Guterhlé.

 

Projet de mission de service civique de Céline Morlot, avec la participation de Jean-Baptiste Sepulchre et de Nicolas Gutehrlé. Musique de générique : Sakura Hz, Mood ; https://sakurahertz.carrd.co ; libre de droit.

A écouter sur toutes le grandes plateformes audio…